Pourquoi éducatrice spécialisée ? Vaste question. Comment commencer ? D’où partir ?

 

D’aussi loin que mes souvenirs remontent, l’envie d’aider les autres a toujours été présente. Lors de manifestations de solidarités, dès mon enfance, je répondais présente.

Néanmoins, certains moments m’ont marqué plus que d’autres et ont, lentement, forgé cette envie de me lancer dans ce métier.

 

J’avais 11 ou 12 ans. Je découvre parmi les livres de mes parents un gros ouvrage, La Cité de la Joie. Je me plonge dans sa lecture, et dévore ses 600 pages très dures mais terriblement humaines. Je découvre la réalité de la vie un bidonville à Calcutta ; j’en ressens les odeurs, les couleurs, les sons, les cris, les pleurs, les rires…Je referme le livre : « Un jour j’irai là-bas ! J’irai les aider ! ». Je n’étais qu’en 5e, mais je venais de donner un sens à ma vie.

Le collège et le lycée se passent, je travaille en espérant devenir professeure d’Histoire-géographie en ZEP. Je ne veux surtout pas me retrouver face aux mêmes élèves que je côtois depuis le début de ma scolarité, blasés, se plaignant d’une vie qui me semble pourtant être trop facile, toute tracée avec la perspective d’un bon avenir. Je veux être là où personne ne veut aller. Je veux transmettre le passé, pour mieux comprendre le présent et pouvoir sereinement préparer l’avenir. J’ai beaucoup d’idéaux.

Février 2007, je suis en terminale. Le lycée organise un voyage au Sénégal, dans le but de faire de l’animation dans un centre scolaire pour enfants défavorisés de la banlieue de Dakar. L’Afrique ne me fait pas particulièrement rêver, mais l’occasion est trop belle de concrétiser un rêve né avec La Cité de la Joie : apporter une aide, aussi minime soit-elle, à des enfants du bout du monde. 5 ans après, il m’est toujours difficile de trouver les mots justes pour faire partager cette expérience. Il me semble qu’on ne peut pas réellement comprendre la force de ce voyage, sans l’avoir vécu. Nous sommes 12 à partir. Je prends l’avion pour la première fois en gardant en tête cette phrase : « L’Afrique, tu adores ou tu détestes ». Lorsque nous posons les pieds sur le tarmac de l’aéroport Léopold Sédar Senghor, une vague de chaleur nous submerge immédiatement. Le climat breton du mois de février est loin derrière nous. Avant de partir, ma cousine ayant l’expérience du Burkina-Faso, m’avait conseillé d’ouvrir tous mes sens pour pleinement ressentir l’Afrique. C’est ce que j’ai tenté de faire, et aujourd’hui encore, certaines odeurs, certains bruits me ramènent parfois en une fraction de seconde à des milliers de kilomètres d’ici. La première impression a été une vraie claque. Evidemment, je savais que la misère existait, mais là…je l’ai vu, de mes propres yeux. J’ai vu cet homme fouiller les poubelles au pied des ambassades pour trouver de quoi manger. J’ai vu ces familles, croisées quotidiennement, qui vivaient sur le trottoir…Une claque. Au centre préscolaire, j’étais avec les Alpha 2 : des jeunes entre 12 et 15 ans, en deuxième année d’alphabétisation. Le but est de leur donner les bases de lecture, écriture, calculs…certains n’étant jamais aller à l’école. J’ai vécu avec eux les moments les plus forts de ma vie. Sans le savoir, ils m’ont apporté plus qu’ils ne peuvent l’imaginer. Grâce à eux, j’ai compris l’importance primordiale de la scolarisation ; ils m’ont conforté dans mon envie d’être auprès de ceux dont personnes ne veut. Durant ce voyage, nous avons également rencontré des lycéens de notre âge, partis loin de chez eux pour pouvoir étudier. Le foyer qui les accueillait était en grosses difficultés financières et ils ne savaient pas s’ils pourraient continuer à accueillir des jeunes. Malgré cela, le temps d’une soirée, ils nous ont tout donné, alors qu’ils n’avaient rien. Je pourrais citer tellement de moments, tellement de noms qui m’ont marqué. Je pense très souvent à ce voyage, je me demande ce que toutes ces personnes rencontrées sont devenues, particulièrement les enfants. Je pense vraiment que sans cette expérience, je ne serais pas la même aujourd’hui.

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Mon projet professionnel n’a pas changé, mais est motivé maintenant par l’envie de retourner au Sénégal. En septembre 2007, ma rentrée se fait en fac d’Histoire. Je reste 4 années à Rennes, afin d’obtenir difficilement ma Licence. 4 années durant lesquelles j’apprends énormément. 4 années durant lesquelles je gagne de l’expérience. 4 années durant lesquelles je mûris mon projet professionnel. Mais en 4 ans, je vis des choses. Et la perspective de simplement apporter un savoir ne me satisfait plus.

Je décide de passer mon BAFA ; la perspective de travailler l’été dans les usines agroalimentaires ne me tentant pas vraiment. Je deviens animatrice et multiplie les expériences : centre de loisirs, séjours et mini-camps, périscolaire…enfants, pré-ados, familles…J’aime ce travail, au point que mon premier directeur se doit de me faire rentrer chez moi après ma journée, craignant que je ne fasse trop d’heures supplémentaires.

C’est pendant mon premier séjour que ma première frustration d’animatrice est apparue. Jusque-là, dans le petit centre de loisirs rural où je travaillais, je n’avais pas vraiment l’occasion de prendre conscience des difficultés des enfants. Sur un séjour, on vit 24/24 avec eux, ils viennent d’horizons divers et variés. Chloé avait 8 ans. Je ne connaissais pas vraiment son histoire, mais je savais juste qu’elle était suivie par les services sociaux. Dans la journée, elle était très provocatrice, agressive avec les autres enfants. Et au moment du coucher, c’était le summum : elle crie, frappe ses camarades de chambre, refuse obstinément d’aller au lit. C’est souvent par la force que l’équipe intervient pour protéger les autres. Ce soir-là, c’est à moi de surveiller les couchers, et autant dire que j’appréhende un peu de me retrouver seule. Et ça ne loupe pas, le même manège que d’habitude. Je suis seule, ça ne sert à rien d’essayer d’utiliser la force. Je lui dis de sortir dans le couloir. Là, je m’assois par terre et la prend contre moi, dos contre mon torse. Mon but est qu’elle se calme. Elle est extrêmement tendue. Alors je lui demande de respirer en même temps que moi. Pendant ce temps, je prends ses mains dans les miennes et desserre peu à peu ses poings.  Je réussis à la faire aller dans son lit, sans cris. Je reste auprès d’elle ; elle ne veut pas parler, m’expliquant qu’elle parle déjà tout le temps à son éducatrice et à la psychologue. Elle m’avoue qu’elle a peur de dormir, car elle fait des cauchemars. Je la laisse et attends dans le couloir. Elle vient s’asseoir près de la porte entrouverte et me tient la main. Dans la nuit, Chloé est venue me réveiller car elle faisait des cauchemars. J’avais gagné sa confiance. Les autres jours n’ont pas nécessairement été plus calmes, mais au moins, j’avais pu comprendre et expliquer pourquoi elle agissait comme ça.

Durant ce séjour, j’ai été confronté pour la première fois à la violence. Je me suis sentie tellement impuissante face à ces enfants et à leur mal-être. J’aurais voulu faire plus pour les aider, les protéger. Doucement, j’évoluais…

 

En centre de loisirs, il y a eu Briac, 3 ans. C’était un lundi matin, première journée d’ouverture pour les vacances d’été. Sa maman arrive avec lui et ses sœurs. Elle nous apprend que Briac est autiste. Personne n’avait été informé avant. Et surtout, personne n’était formé à l’autisme. Très vite, je deviens en quelque sorte sa référente. Durant cette semaine, j’ai essayé de comprendre le fonctionnement de l’autisme, de savoir ce qu’il fallait faire ou pas. Nous ne pouvions pas intégrer Briac dans les activités, mais il était toujours dans la même pièce que nous. Je ne sais pas ce qu’il pouvait penser, ressentir…Il refusait qu’on le touche, alors lorsqu’il m’a pris la main, il m’a fait le plus beau des cadeaux.

 

AFEV : Association de la Fondation Etudiante pour la Ville. J’y ai été bénévole durant 2 ans. Le principe est simple : des étudiants s’investissent en accompagnant des enfants et collégiens dans leur scolarité, à raison de 2 heures par semaine. J’ai choisi de prendre au dispositif ENA, Enfants Nouvellement Arrivé. Il s’agissait d’accompagner un jeune arrivé depuis peu (généralement 1 an ou moins) en France. J’ai démarré avec Serdar, jeune turque de 15 ans. Il n’a pas été facile de démarrer l’accompagnement, Serdar parlant très mal le français, et sa famille pas du tout. J’étais toujours très bien accueillie…quand Serdar n’oubliait qu’on avait rendez-vous, ce qui est arrivé à plusieurs reprises. En décembre, il a souhaité arrêté l’accompagnement. J’ai tenu à me rendre chez lui, afin qu’il puisse m’expliquer ce choix. Je me suis beaucoup remise en cause à ce moment-là, me demandant ce que j’avais mal fait, manqué dans cet accompagnement. Serdar m’a expliqué que, le mercredi après-midi, il préférait aller jouer au foot avec ses copains plutôt que de me voir. Extra ! Ce n’était pas un échec finalement. Un des objectifs de l’association étant de permettre au jeune de se socialiser.

Environ 1 mois plus tard, on me confie un autre accompagnement. Pour la première fois, je rencontre Almira et sa famille. Almira est en 5e, et est en France depuis plusieurs années, après que sa famille tchètchène ait fui la guerre. Elle et ses frères et sœurs (5 sous le même toit) parlent parfaitement français. La maman, bien qu’ayant plus de difficultés, fait de gros efforts et arrivent très bien à se faire comprendre. Quant au papa, je l’ai très peu vu. Le but de l’accompagnement à la scolarité n’est pas une simple aide au devoir. Il s’agit avant tout d’ouvrir l’enfant sur son environnement. Almira est enthousiaste pour tout ce que je lui propose. Un accord non-dit est passé : une alternance devoirs/sorties. Grâce à l’association, je pense avoir découvert Rennes tout autant qu’Almira : opéra, théâtre, patinoire (là les rôles ont été inversé, celle qui m’a appris et rassuré), bowling, expositions…J’ai pu énormément échanger avec la maman, qui me considérait comme faisant partie de la famille, l’accompagnement ayant duré 1 ans et demi. Je l’ai accompagné lors d’un rendez-vous avec la proviseure du collège, aidé au niveau administratif, discuté de tout et de rien…Ce fut plus qu’un simple accompagnement, un réel lien s’est crée entre cette famille et moi.

 

 

Alors, pourquoi éducatrice spécialisée ?

C’est un projet qui a mûrit, lentement, au gré des rencontres et des expériences vécues. Quand je regarde le chemin parcouru, instinctivement des noms, des visages me viennent à l’esprit. Ce qui a fait que j’ai choisi cette voie, ce sont les rencontres…